L’idée des crypto-monnaies comme moyen d’échange au même titre que la monnaie telle qu’on la connait ouvre le débat futuriste de la nécessité de se préparer à la dématérialisation des monnaies fiduciaires
S’il y a bien un sujet qui a marqué l’après crise de 2008 en finance c’est bien l’avènement des cryptomonnaies. Au début, considérées comme une arnaque ou une bulle financière, les cryptomonnaies ont pris de plus en plus de place dans nos portefeuilles, s’accaparant progressivement la confiance du système bancaire. Ainsi, les cryptomonnaies ont envahi internet d’abord avec le célèbre Bitcoin, qui a déjoué tous les pronostics qui le donnaient perdant et hors des places de trading rapidement. Nous avons pu lire sur les réseaux sociaux et dans bien de médias connus ce genre de titres « De SDF à milliardaire » ou encore, « Un ado devient millionnaire grâce au Bitcoin »[a] publié par la revue Brut en faisant référence au jeune Erik Finman PDG de Botangle ; de quoi donner envie aux plus sceptiques. Par la suite, le phénomène Bitcoin, cèdera un peu de place à d’autres cryptomonnaies comme le Ripple, l’Etherum, et le Gas pour ne citer que ceux-là parmi une liste de plus de 50 modèles de cryptomonnaies connues et répertoriées. Toutefois, il est important de noter que le Bitcoin s’est démarqué durant l’année 2017 en passant de 1 000 $ à 17 200 $ au 12 décembre 2017. Le journal économique de France 24 en ligne le qualifiait en ces termes : « Un grand bond en avant de 1 685 % qui fait de cette cryptomonnaie l’une des stars incontestables de 2017. La valeur totale des 16,7 millions de bitcoins en circulation s’établit actuellement à 293 693 174 582 dollars. Entre novembre et décembre, son cours a même été multiplié par deux »[b] Pour comprendre pourquoi le Bitcoin à autant grimpé, il est primordial de savoir ce qu’est que la cryptomonnaie.
Qu’est-ce que la cryptomonnaie ?
Premièrement, la cryptomonnaie est une monnaie virtuelle. Cela signifie simplement qu’elle n’a pas d’existence physique comme le dirham ou le franc CFA. Il est donc légitime de se demander s’il est prudent de les qualifier de monnaies ? Autrement dit, en quoi le Bitcoin est-il une monnaie ?
Il faut retenir qu’un grand nombre de financiers lui reconnaissent les trois fonctions économiques de la monnaie : l’unité de compte car il permet de mesurer les valeurs (prix affichés en Bitcoins, sur certains sites d’e-commerce) ; intermédiaire dans les échanges parce qu’il permet de régler des transactions ; et réserve de valeur puisqu’il peut être stocké (sur un portefeuille numérique hébergé sur un ordinateur, une tablette ou un smartphone) en vue d’un achat futur.
Par contre, dans une note publiée le 5 mars 2018 appelée “l’émergence du Bitcoin et autres crypto-actifs: enjeux, risques et perspectives“[c] les analystes de la banque de France estiment que les “crypto-actifs”[d]ne réunissent pas les trois critères de la monnaie:
Être une unité de compte ; or très peu de prix sont exprimés en Bitcoins.
Être un intermédiaire d’échange ; or les crypto-monnaies sont si volatiles qu’il est difficile de payer avec, et il y a des frais de transactions très élevés par rapport aux monnaies classiques.
Être une réserve de valeur, or les crypto‑actifs émanent de “puissances de calcul informatique” et n’ont “pas de sous-jacent réel”. Vous l’aurez compris la Banque de France préfère ainsi parler de crypto-actifs plutôt que de cryptomonnaie.[e]
En somme, les experts ont du mal à appréhender l’essence même des cryptomonnaies puisqu’il y a désaccord quant à l’attribution de la dénomination « monnaie » ; de quoi alimenter cet épineux débat. Par ailleurs, si certaines personnes se permettent de qualifier les cryptomonnaies d’illusion c’est bien parce qu’à la différence du Dirham par exemple elles n’ont pas de cours légal, c’est-à-dire que nul n’est tenu de l’accepter comme moyen de paiement. Aujourd’hui, les sites (légaux) répertoriés ne dépassent pas une petite centaine. D’ailleurs pourquoi se procurer du Bitcoin quand on voit l’abondance des moyens de paiement mis en place par les banques et autres institutions privées spécialisées ? C’est simple, il y a la possibilité de gagner par la spéculation car c’est un actif à haut risque, sa valeur est extrêmement volatile, les variations de sa demande faisant varier son cours dans des proportions considérables. Cela explique pourquoi le Bitcoin a affiché en 2017 cette croissance insolente mentionnée plus haut. C’est évident les gens investissent pour devenir riche et non pas pour participer à une quelconque révolution financière.
Par ailleurs, cette monnaie échappant encore largement au contrôle des États n’offre pas non plus de protection aux usagers floués par une cyber-attaque vidant leur compte par exemple ou par des transactions frauduleuses. Elle est aussi accusée de servir au blanchiment de l’argent des trafics étant donné l’anonymat permis par le cryptage.
Une autre raison qui a jeté un voile de doute sur les cryptomonnaies est l’identité encore secrète du créateur du Bitcoin connu sous le pseudonyme de SATOSHI NAKAMOTO. Ce manque de leadership de ce génie en rajoute à l’hésitation d’adhérer complètement au mouvement Bitcoin et pose un soupçon de discrédit sur les autres cryptomonnaies qui tentent de se démarquer. C’est le cas par exemple de la cryptomonnaie Ripple qui a pu obtenir certaines conventions avec des institutions financières américaines importantes et dont le fondateur Chris Larsen âgé de 57 ans est devenu l’espace d’un bref après-midi, le 4 janvier 2018, le 5ème homme le plus riche du monde, devant le créateur de Facebook, Mark Zuckerberg.
Il apparait évident que le business cryptomonnaie est très lucratif pour certains ; cependant il n’en demeure pas moins risqué car nul ne peut en prédire l’avenir avec certitude. Concernant le Bitcoin, s’il est vrai que cette monnaie était la reine des cryptomonnaies, aujourd’hui elle a perdu de son importance en valeur et en volume ; au profit d’autres cryptomonnaies, elles, qualifiées de « cryptomonnaies d’avenir » car adossées à des partenariats solides, des
recommandations d’importants hommes d’affaire (cas de l’annonce de Bill Gates quant à l’utilisation de la monnaie Ripple pour une de ses campagnes humanitaires[f]) et appliquant avec efficience les concepts nés du Bitcoin, comme la Block Chain.
Qu’est-ce que la Blockchain ?
Pour comprendre ce concept, il est intéressant d’effectuer un voyage dans le temps précisément en Amérique du Sud, dans une tribu connue sous le nom de Yap. Chez eux, on trouve des grosses pierres pouvant atteindre 4 mètres de diamètre avec un trou au milieu, ces pierres étaient leur monnaie. Alors vous conviendrez que ce n’est pas très pratique pour aller acheter du tajine ! Par conséquent, ils utilisaient la tradition orale pour savoir à qui appartenait chacune des pierres. Imaginons que Mehdi veuille acheter une maison ; il se rend sur la place du village et annonce la transaction publiquement. Alors, tout le beau monde de cette tribu sait à l’instant l’identité du nouveau propriétaire de la pierre de Mehdi. Cela fonctionne très bien quand le nombre des transactions est faible. A l’opposé, quand il y a un grand nombre de transactions on ne peut plus tellement se fier à la mémoire collective de cette tradition orale. Alors, le chef de la tribu décide de nommer quelqu’un qui se chargera de noter dans un registre toutes les transactions ; c’est le banquier. On se retrouve alors dans la situation suivante : à chaque fois qu’il y a transaction, le banquier vérifie la disponibilité de la pierre et l’appartenance de celle-ci à la personne concernée par la transaction avant de s’exécuter et moyennant une commission… De commission en commission le banquier devient un homme riche et puissant ce qui suscite la révolte des habitants du village qui vont se plaindre chez le chef. La décision du chef est radicale ; il décide que tous jouent le rôle de banquier ; c’est-à-dire qu’en cas de transaction sur la place du village tout le monde vérifie et enregistre la transaction dans le registre ; ce registre c’est ce qu’on appelle la Blockchain.
Autrement dit, la Block Chain est le registre d’enregistrement des opérations ordonnées chronologiquement, sécurisé et distribué sur tous les ordinateurs du réseau. Tout le monde a donc toujours accès à toutes les transactions. Alors, pour le monde des transactions c’est une révolution car cette technologie permet de réduire les frais que prélevaient les intermédiaires habituels tels que les banques. On va même jusqu’à comparer la révolution du Blockchain à celle de l’internet dans ses débuts.
En effet, il y a de plus en plus de cas d’utilisations qui sont mis en place ou en cours d’étude qui devraient permettre de muter le système économique en un réseau ou les intermédiaires n’ont plus de place. Facile à dire, mais difficile à appliquer surtout dans le cas des banques. En l’occurrence, quand on sait combien les banques sont importantes pour la stabilité économique mondiale ; il est difficile d’admettre que le monde peut fonctionner sans banques. Il convient donc de se poser ces questions : que deviendra le monde sans banque, d’autant plus s’il est adossé à une monnaie décentralisée qui n’a de base que la variation entre l’offre et la demande ? D’autre part, maitrise-t-on suffisamment la sécurité informatique pour y placer la totalité du système économique ? Qu’adviendra-t-il si nous nous investissons dans cette mutation et échouons ? Pourrons-nous nous en remettre ?
Vous l’aurez compris il n’est pas seulement question de billets de banque mais de l’avenir de l’humanité toute entière. Et si on ne réussit pas à canaliser ce genre de techniques qui peuvent donner un souffle nouveau à une économie qui peine à suivre la vitesse de la mondialisation, nous pourrions en subir des retombées catastrophiques.
En somme, l’idée des cryptomonnaies comme moyen d’échange au même titre que la monnaie telle qu’on la connait ouvre le débat futuriste de la nécessité de se préparer à la dématérialisation des monnaies fiduciaires. Il n’est plus farfelu d’envisager le futur de l’économie mondiale sans monnaie fiduciaire au profit du virtuel ; cela permettrait d’étoffer la base de données des transactions qui échappent encore à la vigilance des autorités. En effet, nous aurons toujours besoin de cette garantie que procure la présence d’un régulateur (en tout cas pour le moment).
Et si nous n’avons plus besoin d’intermédiaire, peut être aura-t-on besoin de contrôleurs. Des métiers mourront et d’autres naîtrons pour accommoder cette révolution économique. Si certains pensent encore aujourd’hui que les cryptomonnaies ne sont que pure farce, la Block Chain n’aura de cesse de les convaincre que la révolution est bien en marche.
[a] Aucun, Brut, France télévision, publié le publié le 22/11/2017 disponible sur : https://www.francetvinfo.fr/economie/bitcoin/un-ado-devient-millionnaire-grace-au-bitcoin-mais-au-fait-c-est-quoi-le-bitcoin_2479657.html
[b] David, Infos Change Vivienne, 13 Décembre 2017, lien permanent : www.changevivienne.com/infos/index.php/post/2017/12/13/Une-hausse-impressionnante-du-Bitcoins
[c] FOCUS, Banque de France, n° 16 – 5 mars 2018
[d] Actif virtuel stocké sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs l’acceptant en paiement de réaliser des transactions sans avoir à recourir à la monnaie légale. FOCUS, revue de la Banque de France, n° 16 – 5 mars 2018
[e] Marie Turcan, Capital.fr, publié le 06/03/2018 disponible à : www.capital.fr/entreprises-marches/la-banque-de-france-donne-3-raisons-pour-lesquelles-le-bitcoin-nest-pas-une-monnaie-1275685
[f] Tiana, analyse des cryptomonnaies, coin.fr, 18 Octobre 2017 disponible sur : https://coin24.fr/2017/10/18/fondation-gates-utilise-technologie-ripple-developper-services-de-paiement-mobile-pays-pauvres/